Les personnes concernées ont-elles toujours raison ?

Si vous avez l’habitude de fréquenter les milieux féministes (en particulier sur Internet), vous avez probablement déjà entendu parler des fameu·ses « concerné·es » !

La personne « concernée », c’est celle qui subit directement une oppression : les femmes pour le sexisme, les personnes racisées pour le racisme, les personnes en situation de handicap pour le validisme, etc. etc.…

Quand on se renseigne à propos du féminisme, on apprend à accorder de l’importance à la parole des femmes en matière de sexisme. C’est assez logique puisque ce sont elles qui le subissent directement. C’est aussi logique puisqu’elles ont tendance à être invisibilisées dans la majorité des situations, alors c’est normal de leur redonner la parole chaque fois que c’est possible.

Mais donner plus souvent la parole aux femmes et reconnaître leur forte légitimité dans les débats touchant au féminisme, ça ne veut pas dire :

  • que les femmes subissent le sexisme de la même façon
  • que les femmes partagent un avis unique sur les problématiques féministes
  • que les femmes disent toujours des choses intelligentes quand elles parlent de sexisme
  • que seules les femmes ont des choses intelligentes à dire à ce sujet

Il ne faut pas se balader bien longtemps sur des pages féministes pour s’apercevoir que les femmes ont des positionnements très différents (parfois opposés) sur tout un tas de questions féministes. Prétendre rechercher « l’avis des concerné·es » supposerait qu’elles se soient mises d’accord et qu’elles partagent un avis consensuel. Or c’est rarement le cas, comme cela est très bien développé dans cet article des Coups de Gueule de Lau.

Ensuite, bien sûr qu’une femme sait mieux que personne ce qu’elle ressent, et bien sûr qu’on ne peut pas remettre en question cela. Si elle dit avoir peur dans la rue le soir, c’est qu’elle a peur dans la rue le soir. Personne ne peut rien trouver à redire à cela. Les concernées ont donc toujours raison quand elles parlent de quelque chose qu’elles expérimentent directement, de quelque chose qu’elles ont vécu ou ressenti.

Mais ça parait quand même assez contre-intuitif de penser que la parole d’une femme est forcément irréprochable quand elle aborde le thème du sexisme de manière générale. Des tas de femmes disent des choses intéressantes à propos du sexisme, mais des tas de femmes disent aussi plein de bêtises à ce sujet… et c’est complètement normal. Le féminisme est un sujet complexe sur lequel on a tou·tes beaucoup à apprendre, on passe forcément par des phases où l’on se trompe… Même si l’on est une femme !

Enfin, il existe plein de manières de permettre aux hommes d’accéder à des témoignages de femmes concernées. En lisant des livres, en discutant avec leurs amies, en réfléchissant par eux-mêmes, les hommes peuvent très bien acquérir une compréhension du sexisme qui ne sera pas du tout la même que celle que les femmes en auront… mais qui peut aussi leur permettre d’apporter des éléments intéressants au débat, de poser d’autres questions. Le fait d’être une femme n’assure pas automatiquement qu’on va avoir la science infuse en matière de féminisme – et le fait d’être un homme n’assure pas automatiquement qu’on va dire n’importe quoi en matière de féminisme.

Au final, il est très important de donner plus d’espace aux personnes concerné·es par les discriminations puisqu’elles sont souvent invisibilisées et silenciées par le système qui les opprime. Cependant, dans le cadre d’un débat ou d’un échange d’idées, il parait simpliste de considérer le fait d’être concerné·e comme un argument d’autorité car :

—> Les personnes concernées par une oppression ne feront pas toutes les mêmes expériences et n’auront pas toutes le même avis

—> Le fait qu’une personne soit concernée par une oppression ne signifie pas qu’elle est infaillible quand elle parle de cette oppression

—> Le fait qu’une personne ne soit pas concernée par une oppression n’empêche pas cette personne d’avoir un avis intéressant et intelligent sur la question.

5 réflexions sur “Les personnes concernées ont-elles toujours raison ?

  1. Je suis tout à fait d’accord avec ton article, je pense qu’il y a souvent des ambiguïtés dans la façon dont on appréhende la « valeur » d’une parole… certain.e s vont estimer que seul le contenu importe et pas l’émetteur, ce à quoi je m’oppose fortement vu les implications politiques super importantes de la prise de parole des groupes invisibilisés. À l’inverse certain.e.s vont focaliser sur l’émetteur. Alors que je considère qu’un message s’apprehende avec ces différents facteurs : qui parle, d’où, à qui, est ce que c’est un partage de vécu (dans ce cas ça n’appelle aucun commentaire ou débat), est ce que c’est un raisonnement qui peut être analysé et vérifié éventuellement… C’est des débats qui reviennent souvent entre sceptiques/zeteticiens et féministe (certaines étant les deux^^), c’est pas toujours évident de faire comprendre que même si on peut se tromper en étant « concerné », ça reste un enjeu de pouvoir s’exprimer. Et on peut pas attendre que tout le monde soit irréprochable dans ses raisonnements pour le faire

    1. Merci pour ton commentaire ! je ne suis pas sûre d’avoir très bien compris la fin, est-ce que tu serais d’accord pour reformuler ?
      La partie : « même si on peut se tromper en étant « concerné », ça reste un enjeu de pouvoir s’exprimer. Et on peut pas attendre que tout le monde soit irréprochable dans ses raisonnements pour le faire » ? Qu’est-ce que tu entends exactement par là ? je vois plusieurs interprétations possibles à cette phrase. 🙂

      1. Je ne sais pas pourquoi j’avais raté ta réponse…en fait je voulais dire que selon moi c’est un enjeu politique que les personnes directement concernées aient l’espace pour se faire entendre, quelles donnent de la voix. Et l’enjeu reste tout aussi important même si ça induit que dans ces voix, on sera en désaccord avec certaines, même si certaines font des erreurs etc

  2. Bonjour et merci pour ce billet,

    Seriez-vous d’accord avec la proposition suivante : la réponse à votre question est positive lorsqu’on évoque le ressenti et le vécu ; la réponse est négative lorsqu’on évoque les interprétations et analyses.

    Est-ce fidèle à votre propos, ou bien est-ce que ça le simplifie à outrance ?

    Merci.

    1. Bonjour et merci pour le commentaire !
      Oui en gros c’est ce que j’en pense, votre commentaire résume bien l’article. 🙂
      Bien sûr c’est simplifié mais en gros c’est l’idée. Du moins c’est l’idée que je m’en fais à titre personnel et après quelques longues réflexions là-dessus…

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